Nouvel exercice de l'atelier d'écriture : choisir une personne célèbre, un artiste, un politicien et imaginer l'un de ses rêves, un rêve qui ne pourrait être qu'à lui.
J'ai choisi, sans hésiter avec quiconque, Philippe Labro. Philippe Labro est une figure avec laquelle j'entretiens un rapport particulier. A douze ans, j'ai adoré l'Etudiant étranger et un Eté dans l'Ouest, ai vraiment été transportée par ces récits d'apprentissage... et puis le temps a passé, j'ai découvert davantage l'homme et il m'a moins plu, les livres qui m'avaient enchantée m'ont paru cousu de fil blanc. J'ai été déçue aussi intensément que j'avais été emportée, jadis. Sans concession.
Voici le rêve que j'ai attribué à Philippe Labro.
Philippe Labro, journaliste, écrivain, magnat des médias.
Philippe Labro allongea sa carcasse fatiguée mais toujours vaillante sur l'épais matelas de la chambre cossue de son vaste appartement parisien. Il poussa un long soupir en étirant doucement ses muscles endoloris et s'enfonça dans le sommeil.
Quelques minutes plus tard, ou peut-être étaient-ce en fait des heures, qui sait vraiment, Philippe Labro se réveilla dans une toute autre chambre. Celle qu'il occupait des décennies plus tôt dans l'université américaine au sein de laquelle il avait passé un semestre. Il était assis dans un fauteuil club. Son regard s'arrêta sur la silhouette d'un jeune homme penché sur son bureau, lui tournant le dos. Les cheveux châtains fraîchement coupés, la nuque rougie par le soleil, le pull en coton jaune pâle négligemment noué sur les épaules, cette allure et ces détails lui disaient trop bien quelque chose. Philippe Labro se leva péniblement, il était beaucoup plus fatigué qu'il ne l'avait cru, et posa sa main sur l'épaule du jeune homme. Ce dernier se retourna énergiquement et Labro poussa un cri d'épouvante. A la place d'un nez, d'une bouche et de deux yeux, il n'y avait qu'un trou noir et béant.
Il recula horrifié, jeta un oeil autour de lui, cherchant une échappatoire. Il reconnut la photo posée sur la commode, celle de sa famille en goguette, endimanchée dans le Paris des années 50 qu'il avait tant aimé. Il n'y avait pas de porte, simplement une fenêtre et de là où il se trouvait, il ne distinguait rien du dehors. Il décida de s'y risquer malgré tout. Il ouvrit la fenêtre, sauta et se retrouva à la porte d'un bar sombre et lugubre. Une jolie jeune femme noire était assise à une table, au fond de la salle. Lorsque les gonds de la porte grincèrent, elle lui jeta le plus perçant des regards et il la reconnut.
"Je suis celle que tu as abandonnée, Philippe", glissa-t-elle, amère, alors qu'il prenait place à ses côtés. "Celle dont tu ferais un bon personnage de roman, celle qui te servirait de caution afin de prouver quel jeune homme aventureux, amoureux de la vie tu avais été". Elle ne parlait ni français, ni anglais, ni aucune autre langue qu'il aurait pu reconnaître, même vaguement, et pourtant ses paroles étaient tel un poignard qui lui lacérait le coeur. "Bien entendu, dans ce livre, tu te donnerais le beau rôle et tu ajouterais une dose copieuse de repentir intelligent, acquis avec la distance et le poids de quelques années. Tu saurais parfaitement équilibrer ton récit pour captiver tes lecteurs, leur faire comprendre tes actes et te faire pardonner. Et pour couronner tout cela, cette première série d'histoires de ta vie t'apporterait le début de la reconnaissance et du succès dans ton minuscule pays lointain, la France".
A peine eût-elle prononcé ces dernières paroles qu'elle se figea et se transforma en une épaisse statue de bois. Des dizaines de spots de cinéma s'allumèrent d'un coup. Philippe Labro devait se couvrir les yeux pour distinguer quelque chose. Il se redressa, maintenant son corps lui faisait mal et son coeur également. Il avançait à tâtons, se cognant aux tables serrées. Elles n'étaient pas si serrées tout à l'heure. Une clameur s'éleva, des dizaines de voix, des rires, des pleurs, il fit de plus en plus chaud. Une chaleur insupportable. Le bruit était si fort que Philippe Labro voulut se boucher les oreilles. La lumière baissa, il reconnut les dizaines de silhouettes des personnes ou personnages qui avaient occupé les pages de ses premiers romans, famille, professeurs, fiancées, maîtresses, amis étudiants. Tous maintenant se tournaient vers lui, l'enserraient, le suppliaient, tendant leurs mains, mendiant. Philippe Labro allait bientôt étouffer, il passa les doigts dans sa belle chevelure blanche comme un geste ultime de rédemption. Il sentit son souffle se couper.
Il se réveilla en sursaut et en sueur dans son confortable et spacieux appartement parisien, se rua, à peine levé vers son immense et prestigieuse bibliothèque et commença à relire ses premiers ouvrages.
J'aime beaucoup, beaucoup, le thème de cet atelier. Je pense que je vais tenter l'exercice aussi.
Et j'aime beaucoup ce que tu en as fait et cette façon subtilement ironique de régler tes comptes, au passage, avec avec cet auteur qui t'a déçue !
Rédigé par : lullaby | 19 décembre 2012 à 11:53
Si l'envie te prend de voir un autre résultat de l'exercice, je l'ai fait, enfin ! ;)
Merci à toi pour l'idée.
Rédigé par : lullaby | 29 décembre 2012 à 16:16