C'est un trentenaire assez banal, pas trop mal de sa personne, mais dont la singularité s'efface derrière le costume gris foncé de jeune cadre dynamique, les lunettes de vue et l'Ipad sous le bras. Il dégage quelque chose de doux, je l'imagine comme une personne tendre, soucieuse de celles et ceux qu'il porte dans son coeur, quelqu'un de soigné aussi, d'ordonné, de mesuré. A la faveur d'une discussion sur un bout de canapé, lors d'un déjeuner consistant en un sandwich triangle un peu trop frais, une eau gazeuse et un brownie pour deux, j'apprends qu'il est l'un des associés d'un restaurant bistronomique à la mode à Paris. C'est une activité en lisière de la profession qui lui prend le plus de temps. Mais c'est sans doute quelque chose d'important puisqu'il en parle soudain à la quasi inconnue que je suis pour lui. Je suis surprise.
Une femme douce, au physique harmonieux. Il semble qu'elle n'élève que peu souvent la voix et si la colère monte, elle sait la garder discrète, tapie au fond d'elle pour n'exploser que dans l'intimité de sa chambre. Elle ne s'emporte donc pas et son caractère a quelque chose de candide. Sa voix est douce et son regard sur le monde tranquille. Elle paraît voir le bon en chacun et si sa vie la satisfait, elle n'est pas contre s'entendre raconter celles des autres, surtout si elles sont à l'opposé de la sienne. Je découvre, alors que nous nous connaissons, certes pas dans le registre de l'intime mais tout de même, depuis quelques temps, qu'elle fut la fiancée d'un candidat de télé-réalité. Je suis surprise.
Il s'agit d'un homme à la silhouette athlétique, aux cheveux blonds et au regard bleu. Il a quitté le costume du jour pour une chemise à carreaux Fred Perry assez cintrée. Il a une dégaine particulière. Je lui parle un peu fort dans l'anglais le plus clair dont je suis capable en faisant des phrases courtes : nous sommes dans un club et la musique est trop forte. Il fait chaud mais je garde mon manteau, il me demande si je ne veux pas aller le poser au vestiaire. Soudain très inspirée et désireuse de tester la traductibilité de mon humour, je lance "My coat is part of my style" (ne t'étouffe pas de rire lecteur... mais si, si sur le moment cette réplique était d'un a-propos plein d'esprit, promis). Il rit. C'est pour moi l'indice ultime sur ce que je soupçonne au sujet de cet homme : sa préférence sexuelle. Je déduis donc de mon pressentiment, de son allure et du fait qu'il rit à mes blagues qu'il est gay. Le lendemain, j'apprends que non. Je suis surprise.
Je suis à un dîner et il y a une jeune femme que je ne connais pas. Avant qu'elle n'arrive, l'on m'a raconté qu'elle a tragiquement perdu son fiancé quelques années plus tôt dans un accident d'avion. Apprendre ce genre d'information sur les gens avant de faire leur connaissance biaise votre regard. Ce n'est pas là le plus important, on s'en fiche comme de l'an 40 que mon fichu regard soit biaisé par rapport à l'atrocité de ce genre de perte... Soit. Mais alors que je l'écoute, alors qu'elle parle de manière animée, sirote son champagne, montre un tempérament bien affirmé face à plusieurs inconnus, je me dis que la manière dont je l'observe est un peu différente que si j'avais ignoré ce fait majeur de son existence. Je suis surprise... mais pas voyeuse. Alors, je n'y pense plus les minutes qui suivent.
Quatre personnes dont j'ai croisé le chemin en une semaine...