Retour des transcriptions de l'atelier d'écriture. L'animatrice nous a proposé une liste d'incipits, premières phrases de romans, aussi diverses que nombreuses (sans mentionner l'ouvrage et l'auteur pour ne pas nous influencer). Nous étions 5 écrivants et n'avons choisi que 2 phrases sur les quinze offertes. La mienne : J'ai reçu les papiers du divorce ce matin.
J'ai reçu les papiers du divorce ce matin. Je m'étais levé après une courte nuit, avais bu un café et puis j'étais descendu acheter le journal en bas. La buraliste m'avait jeté le même regard que d'habitude, celui qu'elle m'adressait depuis qu'elle m'avait vu débarquer vêtu de mon vieux jogging, mal rasé, le teint grisâtre, des cernes monstrueuses bien des semaines plus tôt. J'avais eu fière allure mais ça, c'était avant.
J'allais remonter mais je m'étais arrêté devant la boîte aux lettres. Je devais commencer à aller un peu mieux ce jour-là parce que jusqu'alors j'avais évité autant que possible le réceptacle satanique : il ne semblait annoncianteur que de mauvaises nouvelles. Factures, factures, relances, carte des enfants. Une carte dans une boîte, normalement, c'est heureux. Dans mon cas, en recevoir équivalait à un coup de poignard. C'était le constat du bonheur de mes enfants, sans moi. J'en ai une petite pile sur le dessus du réfrigérateur. Courchevel, Palma de Majorque, la Vendée... Les destinations où le nouveau Jules de leur mère emmène les petits s'additionnent. Et je suis leur père. Ermite vieillissant qui croupit dans un studio miteux.
L'enveloppe était épaisse et portait le sceau d'un cabinet d'avocats des quartiers chics. Mon coeur s'est mis à battre plus vite, j'ai grimpé quatre à quatre l'escalier, ouvert la porte brutalement et jeté les clefs, le journal et l'enveloppe avec violence sur la table basse. Elle me brûlait les doigts.
J'ai laissé passer la journée sans y toucher, sans même lui jeter un regard. J'ai travaillé un peu aux menus travaux de traduction que quelques relations apitoyées m'avaient confiés. Je savais bien que je faisais peine à voir et en jouer pour décrocher des contrats était bien au-dessus de mes forces. Restaient donc les deux ou trois amis que j'avais dans le métier pour me nourrir. C'était bien peu et je savais que cette situation ne pouvait plus durer. Mais je n'étais pas encore prêt à m'en sortir. Vers dix-huit heures, j'ai pris une douche. J'ai mis un jean, enfin le seul que j'avais. Nous nous étions quittés avec un tel fracas que je n'avais presque rien emporté. Je me suis fait une plâtrée de pâtes au ketchup que j'ai mâchouillé devant un jeu télévisé. Je mettais toujours la télé trop fort. La voisine du dessus s'était déjà plainte auprès du syndic. Mais ça me donnait l'illusion de la vie. En reposant mon assiette vide sur la table basse, mon regard s'arrêta sur l'enveloppe. Je la saisis, la fourrai dans ma sacoche, enfilai mes chaussures. Bref, j'avais un sursaut d'amour propre. Je devais l'ouvrir, faire face puisque je savais ce qu'elle contenait.
Lorsque j'ai franchi la porte du bar, Rémi a su que c'était sérieux. Il s'est tourné vers sa rangée de bouteilles rutilantes et m'a servi un double bien tassé d'un alcool quelconque. J'ai bu cul sec, à peine une fesse posée sur un tabouret. J'ai sorti et déchiqueté l'enveloppe. C'étaient bel et bien les papiers du divorce. Ils stipulaient de manière officielle la volonté de mon épouse, puisqu'elle l'était encore, la douce et belle Odile, à rompre le contrat que nous avions passé douze ans plus tôt devant l'officier d'état civil. "Et celui passé devant Dieu ?!!" avais-je hurlé un jour de désespoir particulièrement aggravé. De sa gorge était sorti un petit rire et d'une voix glacée, elle avait rétorqué : "Ah oui ? Parce que maintenant tu crois en Dieu ?".
J'ai demandé à Rémi un autre verre. Ce soir, je serai saoûl. Je savais que ce jour arriverait. Pas celui où j'aurais trop bu, ça c'était monnaie courante... le jour où j'aurais ces papiers entre les mains. Comme d'autres choses de l'existence, je n'y étais pas complètement préparé. Il signifiait la fin concrète d'un tome de ma vie. A partir de demain, me disais-je en sirotant le troisième verre, tout redémarre. Tu vas écrire de nouvelles pages. Rémi opinait du chef en essuyant doucement des verres, tant et si bien que je me demandais si je m'étais exprimé à voix haute. Le bar était désert. Ca valait mieux, je n'avais pas besoin de spectateurs pour assister à ma déroute. Toi, Paul Berthier, tu recommences, tu remets les compteurs à zéro. S'il le faut, tu te battras pour les enfants ! Oh !! Oui, tu n'es qu'un petit traducteur à la manque... mais tu es leur père, bordel !!
Après, je ne sais plus, on m'a dit que je m'étais écroulé ivre mort...
En effet, le lendemain, alors que pas un instant, même totalement envoûté par l'alcool, je n'avais cru à mes balivernes, moi, Paul Berthier, j'ai commencé une nouvelle vie et je m'en vais vous la raconter.
Encore et toujours un superbe texte, j'en ai carrément des frissons...
Je ne sais déjà plus comment j'ai découvert ton blog, il n'y a pas si longtemps finalement, mais il a tout de suite rejoint mes flux et j'ai l'impression de t'avoir déjà dit mille fois tout le bien que je pense de ton écriture. Alors je vais essayer d'arrêter (je dis bien "essayer" !) mais tu rejoins aussi ma blogroll, c'est dit, parce que tu gagnes à être lue !!! A bientôt et encore merci pour l'évasion et le plaisir.
Rédigé par : lullaby | 14 novembre 2012 à 14:25
Merci, merci, merci. On a beau dire... si l'on prend beaucoup de plaisir à écrire et à faire jaillir l'histoire dans le texte, sans lecteur ça perd de son sel... alors merci de me lire régulièrement et de m'avoir ajoutée à ta blogroll ! Sincèrement :)
Rédigé par : Lza | 14 novembre 2012 à 18:59