"Could you please start thinking outside the box?? COULD YOU THINK OUTSIDE THE BOX ONCE IN YOUR LIFE, PLEEEAAASSSE?"
Tétanisée sur sa chaise, seule avec lui dans cette immense salle de réunion, elle a douze ans de nouveau. L'affreux-pas-beau directeur de service lui hurle dessus. Il postillonne à tout va, debout, un peu courbé. Une grosse veine gonflée barre son front. Elle se concentre sur cette énorme veine saillante bleue, moche, dégoûtante. Elle se dit que si elle s'applique, elle va réussir à faire le vide autour d'elle et à ne plus l'entendre vociférer. Elle n'a pas d'autre choix que de prendre son mal en patience. Et de regarder la vilaine veine bleue. Fixement.
"Thinking outside the box": elle est bien bonne celle-ci. Elle ne demande que ça de s'extirper de cette putain de box. Elle s'y sent enfermée depuis des mois, des années. Claustrophobe. Oui, elle se voit assise au milieu d'une boîte aux quatre parois lisses et blanches, d'un blanc tellement éclatant qu'il lui fait mal aux yeux. Ce cube parfait est l'enfer calme dont elle est captive.
Elle n'écoute plus ce qu'il dit. Elle ne regarde plus la veine non plus, parce que ça lui soulève l'estomac en fait. Elle ne va pas aggraver son cas en dégobillant sur la longue et large table en mélaminé, non. Alors, elle repense à sa soirée de la veille, au bon Bordeaux qu'elle a dégusté en discutant avec ses amis. Le temps passe et elle se fait la remarque que dans les dîners, elle et eux accordent de plus en plus d'importance au goût du nectar. Ils vieillissent et préfèrent désormais le rare et cher.
Il poursuit sa diatribe dans un franglais "ridicool", si approprié dans le genre de boîte dans laquelle ils sont tous deux employés. Elle ne perçoit plus qu'un léger bourdonnement tandis qu'elle détaille les nervures du faux bois couleur hêtre et sa manucure ratée qui s'écaille. Ses vernis tendance hors de prix ne tiennent décidément pas leur promesse. "Concentre-toi encore un peu et tu seras complètement imperméable. Le flot de ses invectives glissera sur toi comme les gouttes de pluie sur l'immense façade vitrée. Oh ! Tiens, il pleut. Je n'avais pas remarqué".
Elle perçoit finalement qu'il lui laisse deux jours pour revoir sa copie, pour recracher un powerpoint autrement plus chiadé. Pour parfaire sa posture de dragon tyrannique, il envoie valser d'un geste rageur les feuillets étalés sur la table et quitte la salle d'un pas nerveux. Sans oublier de donner un grand coup de pied dans la porte vitrée. Il a joué son rôle à la perfection, les habits du personnage sont devenus sa seconde peau.
Elle est seule désormais dans cet immense espace froid et sans vie. Elle se dit que ça ne peut plus durer comme ça.
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