Les émotions et l'état d'esprit influent beaucoup sur la mémoire.
L'histoire et nos histoires sont des miroirs, se regardent et s'interpellent le long d'une vie.
Je me souviens ainsi de la jeune femme de 20 ans que j'étais lorsque je vis, comme des milliers d'autres, sur l'écran de télé familiale les tours de Manhattan s'effondrer. Je me rappellerai certainement de la quasi trentenaire que je suis désormais écoutant en boucle sur les ondes de Radio France les correspondants étrangers raconter le désastre japonais.
Ce que l'on se remémore bien plus tard, ce sont souvent des bribes, des détails anecdotiques puisque la grande histoire nous échappe, puisqu'on en connaît qu'une version remâchée par nos canaux d'informations habituels auxquels, généralement, l'on se fie.
L'histoire, de plus, ne nous appartient que rarement, nous n'en sommes la plupart du temps, là où je me trouve en tout cas, que les témoins attérés, les chanceux épargnés.
Je me souviendrai certainement m'être rendue compte que ces correspondants français s'expriment avec un accent japonais prononcé, chose à laquelle je n'aurais pas spontanément songer.
Je me souviendrai peut-être de la une de Libé en ce début de printemps parisien ensoleillé : Queen Elizabeth, placardé sur le kiosque en bas de chez moi. Je me souviendrai aussi d'avoir trouvé un peu ridicule les doublages d'un vieux film avec Liz Taylor, diffusé en hommage ce soir-là. De m'être dit que les vieux films américains en VF me font souvent cet effet-là.
Je me souviendrai d'autant mieux de cette période de l'histoire parce que je m'y inscrirai anonynement avec la mienne. Ces événements et le miens seront marqués sur une frise chronologique ressemblante. La grande et ma petite.